Coopération décentralisée, AECT et Internationalisation des territoires : de quoi parle-t-on ?
Le concept d’internationalisation des villes et des territoires a émergé ces dernières années. Il complète et élargi les notions de coopération décentralisée et d’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (AECT) et les interroge. En réalité, la coopération décentralisée n’est que l’une des modalités de l’AECT, elle-même n’étant que l’une des composantes de l’internationalisation des villes et des territoires.
La coopération décentralisée, une relation conventionnelle entre deux ou plusieurs collectivités territoriales.
La coopération décentralisée est une relation conventionnelle entre deux ou plusieurs collectivités territoriales de pays différents. Elle peut mobiliser de nombreux acteurs, comme des associations, des structures de santé, des organisations professionnelles… Elle reste cependant pilotée par la collectivité territoriale, sous l’autorité d’un élu. Celui-ci s’appuie la plupart du temps sur le service des relations internationales. Si elle s’est diversifiée au fil du temps (jumelages, aide au développement, coopération transfrontalière,…), la coopération décentralisée s’est souvent développée en marge des autres services de la collectivité territoriale. Elle a ses objectifs propres, souvent indépendants des autres politiques publiques territoriales. Quelques collectivités parviennent toutefois à articuler leurs actions avec des collectivités territoriales étrangères à leurs politiques publiques à destination des habitants de leur territoire.
L’AECT : l’ensemble des actions à l’international des collectivités territoriales
Les collectivités territoriales mettent également en œuvre d’autres actions, en dehors de ces conventions de coopération. L’Action Extérieure des Collectivités Territoriales a longtemps été synonyme de coopération décentralisée, mais se diversifie de plus en plus. Les Communes, les Départements et les Régions contribuent ainsi directement à l’organisation de missions pluri-acteurs pour rechercher des marchés économiques, à l’organisation d’événements culturels, à l’accueil d’étudiants étrangers ou au financement de dispositifs de mobilité à l’international pour les jeunes, à la mise en place de clusters d’excellence pour attirer des scientifiques d’autres pays etc.
A travers ces actions, les collectivités poursuivent des objectifs diversifiés (et parfois difficilement compatibles) : développer leur attractivité, ouvrir les habitants à l’interculturel, se montrer solidaire… Leur action extérieure contribue parfois à plus de transversalité entre leurs services. La direction du développement économique va par exemple collaborer avec le service relations internationales pour chercher à ouvrir des marchés à l’étranger aux entreprises du territoire ; la direction de la culture va se rapprocher du service relations internationales et du service jeunesse pour valoriser les artistes du territoire.
En outre, les collectivités territoriales sont tiraillées entre l’obligation (morale et/ou stratégique) de se positionner à l’international et la difficulté (réelle ou supposée) de justifier ces actions auprès de leurs citoyens. Ces cinq dernières années elles ont fait face à la double contrainte des restrictions budgétaires imposées par l’Etat et leur crainte des réactions des habitants. Elles ont donc recentré leur positionnement à l’international sous l’angle du rayonnement et de l’attractivité, en délaissant quelques peu la dimension solidaire de la coopération, désormais marginalisée.
L’AECT est donc aujourd’hui en mutation,dans un contexte d’internationalisation des territoires qui questionne beaucoup la place et le rôle de la collectivité territoriale.
L’internationalisation des territoires : des processus qui dépassent largement l’action à l’international des collectivités territoriales
Le concept d’internationalisation des territoires est pour l’instant soumis à plusieurs interprétations. Il est la plupart du temps associé, voire même confondu avec le concept d’AECT, approche qui donne à penser que la collectivité est en totale maitrise des phénomènes d’internationalisation qui affectent son territoire.
Il nous parait pourtant plus juste de se représenter ces processus d’internationalisation comme une toile de l’ensemble des interactions qu’un territoire entretient avec l’étranger. En effet, l’examen de la réalité nous montre qu’un certain nombre de ces phénomènes (positifs ou négatifs) échappent totalement ou partiellement aux « radars » de la collectivité : résidence d’artistes, échanges internationaux entre associations, afflux de touristes, installation de demandeurs d’asiles imposée par l’Etat, implantation d’entreprises étrangères. Ceux-ci ont des impacts qui sont, ou devraient être, mieux pris en compte dans les politiques publiques. Les collectivités n’ont pour l’instant pas une vision très précise de ces phénomènes. Or, sans vision de ces processus, il est difficile d’ajuster son action pour favoriser telle dynamique ou atténuer les effets négatifs de telle autre.
L’Internationalisation des villes et des territoires peut ainsi se définir comme le processus dynamique de flux en provenance ou en direction de territoires étrangers : ces flux concernent aussi bien les personnes, que les institutions, les idées, les objets, les modèles d’architecture, les modes de vie, la gastronomie, etc. Ces flux peuvent être voulus (politique d’attractivité et de rayonnement, coopération décentralisée), ou vécus/subis (arrivée de réseaux mafieux, délocalisations d’entreprises, exigences des multinationales notamment des GAFA). Ils interrogent l’existant d’un territoire dans ce qu’il a d’apparemment pérenne et dans ses évolutions en lien avec ces flux. Ils interrogent également la présence du territoire à l’international (visibilité, projection, rayonnement, etc.). L’action extérieure des collectivités territoriales peut être à la fois la manifestation et le moteur de l’internationalisation d’un territoire (CIEDEL 2017).
L’internationalisation des territoires, la grande absente du débat public comme des campagnes électorales locales
A l’aube des élections municipales de début 2020, nous constatons que ce processus « irréversible », « inéluctable » est le grand absent du débat public et de la campagne électorale qui va s’ouvrir.
Alors que ce processus d’internationalisation marque les hommes comme les paysages des villes, les politiques comme l’économie, rares sont les élus qui en font un objet politique. Cela contribue à le rendre illisible ou transparent aux yeux des citoyens et contribue aux réactions de rejet du processus (alimentant notamment des volontés de replis identitaires ou des comportements xénophobes).
Mieux comprendre l’internationalisation : un enjeu important
L’internationalisation des territoires est donc une somme de processus multiformes mal connus. Elle bouscule les collectivités territoriales françaises. Les élus locaux sont régulièrement contraints de réajuster leur action et adopter une stratégie par rapport aux différents acteurs qui contribuent, participent ou subissent cette internationalisation.
C’est pourquoi l’internationalisation des villes et des territoires est actuellement l’objet d’une recherche menée par Cités Unies France et le CIEDEL. Ce type de travail a notamment pour ambition de permettre aux collectivités territoriales françaises de mieux comprendre ces processus afin d’adapter leurs politiques publiques pour en tirer le meilleur possible pour leurs territoires et leurs habitants.