Ce qui ressort d’un travail sur la citoyenneté avec des professionnels de plusieurs pays ?
En 2018, le CIEDEL a animé les premières sessions de formation du nouveau diplôme universitaire Citoyenneté et Territoires. Deux modules de formation ont été expérimentés pour la première fois avec des étudiants de huit pays différents : « comprendre et faire vivre la gouvernance locale » et « construire un projet de société sur un territoire ». Point de vue sur les principales réflexions (article rédigé avec Loann, participant à la formation).
La citoyenneté, une notion qui ne va pas de soi
Le premier constat posé à la suite de cette formation, c’est que la citoyenneté n’est pas une notion claire ou absolue : elle est polysémique (à moins de la restreindre uniquement à une définition juridique, c’est-à-dire aux fonctions qui différencient l’individu/l’habitant du citoyen, par exemple le droit de vote). Pour la travailler collectivement, il faut la définir autrement que par sa définition juridique, qui peut varier d’un État à l’autre et qui n’est de toute manière pas satisfaisante pour parler d’enjeux aussi importants que la construction d’un projet commun sur un territoire.
C’est particulièrement le cas dans un groupe multiculturel où les contextes culturels, territoriaux ou institutionnels sont très différents.
Les bases pour travailler ensemble : pouvoir d’agir et vivre ensemble
Il faut donc se fixer des bases pour travailler ensemble. On peut repartir des deux piliers, ou des deux grandes composantes de la citoyenneté : le vivre ensemble et le pouvoir d’agir.
Le vivre ensemble correspond plutôt à l’idée de faire collectif, de travailler une vision commune du territoire, d’insister sur des notions comme la solidarité, l’interculturalité, la tolérance, la compréhension de l’autre, le dialogue.
Le pouvoir d’agir, c’est une notion plus tournée vers l’individu et sa capacité à apporter au collectif. Il faut aussi travailler sur cet aspect puisque si les individus ne sont pas en capacité (ou pas mis en capacité) d’avoir une prise sur leur environnement direct, ils ne peuvent pas contribuer au collectif.
Garantir le pouvoir d’agir et la participation à la gouvernance locale de chaque individu et parvenir à faire vivre ensemble un groupe d’individus sont deux composantes a priori nécessaires pour pouvoir « faire société » et faire émerger un projet de territoire. C’est sur ces deux notions que les participants à la formation ont construit le reste de leur apprentissage.
La participation, sujet central des discussions mais des inégalités selon les pays
Que l’on parle de gouvernance partagée ou de projet de territoire, le mot participation est ressorti très souvent dans la formation. Il est central : c’est un outil pour améliorer le vivre ensemble et le pouvoir d’agir. La construction d’une vision commune et le partage de la gouvernance sont intimement liés à la participation. Le registre est cependant différent : dans le premier cas, il s’agit de participer à la définition de l’avenir commun et dans le deuxième de participer aux décisions de gestion de cette vie commune.
A écouter les participants (tous agents de développement local mais sur des postes et dans des organisations très différentes), les agents de développement local sont tous d’accord pour encourager un processus de gestion et de prise de décision plus participatif à leur échelle. Leur vision est celle d’une participation de tous les acteurs aux affaires du territoire qui les concernent. Les questions portent plus sur l’organisation de cette participation : sur quoi doit-elle porter, qui doit y participer, qui arbitre… ? Il ressort par exemple que la participation n’a pas pour objectif d’être représentative (sinon elle ferait doublon avec l’élection de représentants), mais plutôt de s’appuyer sur la compétence, l’intérêt pour la thématique, l’expertise d’usage du territoire.
L’organisation de la participation sur des territoires d’échelles variables constitue la véritable mise en pratique de la citoyenneté : c’est là que se joue l’essentiel, là aussi que les difficultés peuvent subvenir : comment organiser l’articulation entre les différentes échelles, comment avoir des formes de participation adaptées à chaque échelle ? à chaque contexte ? La place des autorités traditionnelles est par exemple une vraie question dans certains contextes, alors qu’elle ne l’est pas en France.
Le contexte institutionnel joue sur la capacité des agents de développement à pouvoir travailler sur la question de la citoyenneté
Tous les pays n’accordent pas la même place à la citoyenneté et il est parfois difficile d’aborder la notion dans certains territoires. Peut-on construire la citoyenneté par le haut en légiférant ? Ou la construire en remontant, à l’échelle de chaque individu/groupe social ? En fonction de leur État d’origine, les participants n’ont pas la même autonomie et les mêmes capacités d’organisation de leur territoire. Les modes d’organisation administrative et les espaces de gouvernance diffèrent avec, en particulier dans certains cas l’influence forte d’espaces non légalisés (autorités coutumières…). Le rôle des agents de développement dans l’élaboration du projet de territoire diffère de fait, notamment en fonction du degré de décentralisation des États.
Les projets de territoires peuvent donc être très différents d’un territoire à un autre en fonction d’une multiplicité de facteurs. En fonction des modes d’organisations, du rôle que l’on veut conserver aux autres espaces qui permettent de « faire société » (famille, religion…), la définition de ce que l’on veut gérer en commun sur le territoire diffèrera… et donc le projet de territoire aussi !
Les projets de société ou de territoire se construisent souvent de la même façon : dans l’opposition
L’un des premiers constats partagés par l’ensemble des participants concerne le point de départ du projet de société, de ce qui nous lie. Historiquement, du moins dans les pays représentés en formation, de grands mouvements populaires ne se sont pas cristallisés autour d’une vision commune de l’avenir, mais plutôt en opposition à un système qui était refusé. Par exemple, à la sortie de la deuxième guerre mondiale en 1945, en France, le projet du Conseil National de la Resistance a été porté par un large consensus national … avant de s’effriter face aux divergences profondes de ses composantes. L’insurrection de septembre 2014 au Burkina est, peut-être, un exemple encore plus frappant (l’avenir nous le dira plus sûrement).
L’identité et l’appartenance, deux points sensibles bien cernés par les participants
Dans les thèmes sensibles figuraient la question de l’identité et des appartenances, primordiale dans la constitution d’un projet de société. Le constat était consensuel entre le retrait de l’État, la perte de confiance des citoyens dans l’action publique et le rôle majeur des appartenances à certains espaces sociaux (familles, quartiers…). Les phénomènes de revendications et de replis identitaires ont donc largement été abordés ainsi que les différentes formes d’engagement dans la vie en société qui suppose de pouvoir aller au-delà de ses différentes appartenances sans les trahir. Notre identité est construite par nos appartenances multiples et mouvantes (famille, village, école, communauté religieuse…). Une communauté pour gérer le « bien commun » sur un territoire doit pouvoir prendre en compte les individus dans leurs diversités.
Les communs, une autre manière de voir la place du citoyen et la relation entre institution et acteurs privés
L’ouverture proposée en fin de formation sur le thème des « communs » a été très appréciée car elle permet de montrer en quoi la gestion d’une société ne se résume pas nécessairement à un simple compromis entre le secteur public et le secteur privé.
D’autres approches existent et en particulier la capacité de collectifs à autogérer des biens communs en définissant les règles de leur gestion.
La question de la citoyenneté mérite une place plus importante dans les réflexions des acteurs du développement. Elle ne peut pas être écartée du travail de développement local dont l’un des acteurs importants est le citoyen.