Focus acteur : Lucie MPUNGA, le développement local avec la jeunesse en RDC
Lucie Thérèse Mpunga Nkanga est Directrice a.i du Bureau d’Architecture, Technologies Appropriées et Infrastructures Rurales, structure dépendante du département de la Diaconie de la Présidence Nationale de l’Eglise du Christ au Congo (ECC).
Bonjour Lucie. Est-ce que tu peux nous présenter rapidement ton parcours professionnel depuis ton passage en formation au CIEDEL ?
Je crois qu’il faut commencer juste avant mon arrivée au CIEDEL. Je travaillais déjà pour la Présidence Nationale de l’Eglise du Christ au Congo – au CEFORMAD (centre de formation en management et développement organisationnel) – mais j’avais un rôle administratif uniquement. Or je voulais élargir mes compétences et on avait un projet pour accompagner les entités territoriales décentralisées (ETD) dans la mise en œuvre du processus de décentralisation dans le cadre du développement local. Du coup j’ai été envoyée au CIEDEL.
Au début j’étais un peu perdue au début. Je me souviens d’un collègue sénégalais qui s’était étonné que je n’étais pas très bavarde. Je crois que j’étais novice mais je me suis accrochée et les échanges d’expérience m’ont donné beaucoup d’idées et permis de préparer des savoir-faire.
Et qu’est-ce qu’il s’est passé après la formation ?
En revenant en 2013, ma première mission était de mettre sur pied un festival pour les jeunes, pour qu’ils puissent s’impliquer dans le développement d’une entité. On visait une entité urbaine, une rurale. On avait pour partir un financement de Pain pour le Monde qui couvrait 100% de ce qu’on voulait créer. Bon, là je me suis dit « il y a un intérêt et du dynamisme, on peut sans doute faire financer ça ici ». Finalement on a trouvé 55% des fonds du festival au local. Ça a créé une dynamique et on a drainé 5000 jeunes. A partir de là, je me suis déplacée dans les villages pour booster le développement, comme assistante chef de projet, et ça a pris.
Tu fais toujours ce travail ?
Depuis je suis devenue directrice du Bureau d’Architecture, Technologies Appropriées et Infrastructures Rurales. Je ne suis pas architecte, donc on peut se demander ce que je fais là. Mais en fait il s’agit de lier la technique avec les besoins et stratégies de développement.
En arrivant, j’ai trouvé la caisse vide, donc il fallait construire. Comme dans la commune on a un problème majeur avec les déchets, je me suis dit qu’on devrait essayer de faire de cette insalubrité une opportunité économique. L’idée était de monter un projet et convaincre un bailleur (Terafund) de s’engager, avec une phase pilote de 6 mois. En parallèle, nous voulions traiter le problème de la pauvreté et le manque de services publics sur les déchets. On a donc commencé à valoriser le travail de personnes très pauvres pour récupérer des déchets, en faire quelque chose, puis les vendre. On a produit des pavés avec du sable et du plastique, ou des sacs à partir de matériaux de récupération.
Notre ambition est de pérenniser au-delà du projet en utilisant l’entrepreneuriat des jeunes. Nous avons eu un fond de départ pour une phase pilote de 6 mois. Le projet est passé à plus grande échelle pour une durée de 3 ans, et a déjà eu un effet de levier et provoqué des ouvertures. J’ai par exemple participé à la 4ème édition de la foire agricole internationale de Kinshasa, car notre projet touche aussi à la dépollution des sols, donc a un intérêt pour les agriculteurs. C’est l’un des problèmes qui nous concernent tous.
En 2019, ton parcours a pris un autre tournant puisque tu t’engages sur une fonction de suivi-évaluation et de formation, pour ce projet de transformation des déchets plastiques (financé par Terafund). D’où t’es venue cette envie de passer sur une fonction d’appui ?
Il y avait la nécessité de le faire pour suivre le projet. Comme je suis directrice de la structure, j’ai pris ce rôle qui me semble stratégique pour le projet, mais aussi pour la suite. Je suis dans mon rôle de directrice de supervision. Je compte aussi à titre plus personnel monter en compétence sur cet aspect et je trouvais qu’il était intéressant de le faire concrètement.
A côté de ton travail de chargée d’évaluation, tu es notamment membre de l’Equipe de Préparation des Alertes Rapide et des Réponses d’Urgence, EPRT-MCC/RDC. Quelle place a cette activité bénévole pour toi ?
L’une de mes motivations, c’était que je voulais continuer à porter un appui à l’égard de la jeunesse, en lien direct. Les territoires de travail de ma structure et mon activité bénévole sont les mêmes donc ce qu’on fait pour l’un a un intérêt pour l’autre.
En fait cette équipe d’alerte rapide s’est formée avant les élections. La commune choisie est toujours sous tension mais avant les élections on s’est dit qu’il fallait agir vite pour faire en sorte qu’elles se déroulent correctement. C’était un bon test, avec beaucoup de délinquance juvénile. Pour conscientiser, sensibiliser les jeunes, on a créé des clubs de paix. On a mis en place 4 clubs avec aussi l’objectif que les jeunes deviennent acteurs. On a des analystes politiques, socio-économiques, qui peuvent nous aider à trouver les bons messages.
Donc ce que tu fais dans cette équipe a un intérêt pour ta fonction de directrice et inversement ?
Dans ce qu’on fait dans les territoires on a besoin des jeunes. On les sollicite pour la sensibilisation. C’est un quartier chaud, donc il faut faire un travail en amont de projets de développement, construire à travers les jeunes. Il y a tout le temps des tensions dans ce quartier
Tu travailles depuis 1993 à la Présidence Nationale de l’Eglise du Christ au Congo. C’est une belle longévité. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ta relation avec cette structure et pourquoi tu y es restée 25 ans ?
Ils m’ont permis deux fois de me former, en 2005 pour une licence en droit au Congo et en 2012 au CIEDEL. Ils ont mobilisé une bourse pour moi. C’est inestimable dans mon parcours et je me sens une dette morale et une reconnaissance. Et puis c’est mon Église.
Quelle place ont les organisations associatives catholiques ou protestantes au Congo dans le paysage du développement local ?
Globalement les Églises et confessions religieuses jouent un rôle là où il y a absence de l’état. C’est plus globalement la société civile qui comble un vide de l’État. Par exemple il y a la création d’écoles, mais aussi des prêtres qui animent des dynamiques locales. Les organisations d’Église agissent dans beaucoup de domaines, comme l‘éducation, la santé, mais aussi dans une certaine mesure la justice – avec une fonction de médiation et de contrôle citoyen.
Leur fonctionnement a évolué ?
Il y a eu de grandes évolutions, par exemple pour privilégier le travail de la femme, l’approche genre. Aujourd’hui je suis directrice, on a embauché une autre collaboratrice, globalement on essaie de favoriser le leadership des femmes. On accompagne les évolutions sociétales.
Est-ce qu’il y a une fonction ou une période qui t‘ont plus marqué depuis 1993 dans cette structure ?
Le tournant c’est mon année juste après le CIEDEL. Là j’ai dit « oui, c’est ça ma voie, je dois bosser au développement“. Et ce travail c’est maintenant
Quels sont tes principaux objectifs ou défis à venir ?
J’aimerais mettre en place une organisation d’appui au développement. Il y a des défis énormes. Le champ d’action est très vaste et je crois qu’il nous faut plus de dynamiques.
Un auteur ou un livre que tu aimes bien et aimerais partager ?
Je viens de commencer Le développement local par Bernard Pecqueur – il explique comment le monde est en train de changer. Les espaces sont bouleversés et il faut un nouveau regard sur le développement. Il parle notamment du fait que les territoires doivent pouvoir faire avec les entreprises pour trouver des solutions. Avec l’idée de développement solidaire derrière. En fait il décrit un monde qui change – avec les migrations, le changement organisationnel… et dans lequel il faut mettre le développement local en action.