Focus acteur : Arnaldo SERNA, éducateur pour le développement et coach au Pérou
Arnaldo SERNA est éducateur pour le développement. Il travaille à Escuela para el Desarollo, au Pérou, sur la base de l’apprentissage participatif. La principale mission d’Escuela para el Desarollo est de renforcer les capacités de professionnels qui travaillent dans différents contextes. Arnaldo travaille aussi dans un cadre plus large sur l’éducation populaire en Amérique Latine et sur la citoyenneté au niveau mondial, avec le réseau des centres de formation PROFADEL, dont le CIEDEL et Escuela sont membres.
Peux-tu nous dire quel est ton travail et ce que tu essayes d’améliorer ?
Je vais parler essentiellement de mon rôle à Escuela para el Desarollo. Mon travail est avant tout un travail de formation. Mon rôle est de renforcer les capacités de professionnels du développement pour qu’ils puissent mieux faire leur travail.
Dans le cadre de ce travail, j’ai contribué à développer, avec le PROFADEL, un Master International sur les questions de citoyenneté. Pour le développement, je crois que la citoyenneté est l’élément clé. Depuis les années 1990 on travaille sur les questions de genre, de droits, de développement durable et d’interculturalité. Ces 4 approches sont indispensables, mais elles reposent sur un socle commun, qui est la citoyenneté. Ce sont « les quatre pieds d’une table et la citoyenneté est le plateau qui les unit et les intègre ». La citoyenneté est donc la base de notre travail.
Escuela para el Desarollo fait aussi un travail d’étude, d’expertise… Car en fait ce que l’on veut c’est aussi innover dans la formation, améliorer les processus de renforcement des capacités, et pas seulement chez nous. Du coup, on fait des expériences, on travaille par exemple sur les réseaux sociaux, l’apprentissage virtuel… On aimerait réussir à adapter l’apprentissage expérientiel participatif, qui est notre marque de fabrique, au virtuel. C’est notre grand défi.
Toujours dans l’innovation, on veut aussi promouvoir une communauté inter-apprentissage sur le développement avec les acteurs, partenaires… Je préfère le mot communauté au mot réseau, car il y a une notion d’appartenance, d’identité, de proximité et de participation. Escuela virtual [plateforme d’échanges virtuels multi-thématiques] a été développée avec une philosophie proche de celle du Réseau des Praticiens du Développement : partager des savoirs, créer des espaces pour d’autres apprentissages. L’étape suivante c’est de faire l’échange entre Communauté Amérique latine et francophone. Ce qui m’intéresse c’est d’évoluer vers l’école citoyenne ; c’est une méthodologie de travail qui permet la réflexion ensemble. A Escuela on voudrait le faire de manière semi-présentielle – mais on pourrait essayer du totalement virtuel. Le réseau des Praticiens peut être l’occasion de voir comment ça marche, d’expérimenter, d’innover.
Quelle conviction te porte tous les jours et te motive à aller travailler, t’influence dans ton travail ?
Pour moi aujourd’hui le mot clé est « changement ». Aujourd’hui, on voit très clairement qu’il y a beaucoup de situations de crises, de conflit, avec des acteurs qui s’emparent de ces problèmes mais ne font pas toujours avancer les choses. Si on continue tous à faire les choses de la même manière c’est la catastrophe assurée. Moi je me dis : qu’est-ce qu’on peut faire ? On doit changer.
Le défi est de faire changer des personnes adultes (y compris moi-même), parfois des consultants ou des personnes considérées comme expertes. J’ai en tête l’exemple d’un professionnel qui était venu à une formation au Développement Durable pour trouver des compétences techniques. On a remarqué qu’il était très machiste. La question est : comment on fait pour le faire changer aussi sur sa perception du genre ? Comment on fait en sorte qu’il prenne conscience, globalement, de sa propre perception et pour qu’il change profondément ?
C’est lorsque l’on arrive à provoquer ce type de changement que je trouve qu’on a réussi notre pari.
Est-ce que tu parviens à identifier un moment qui a été déterminant pour la suite de ton engagement professionnel et qui finalement t’a amené là où tu es ?
Un soir, alors que j’emmenais ma fille de 6 ans se coucher, elle m’a demandé « Papa, qu’est-ce que tu vas faire pour améliorer le monde ? ». Je travaillais déjà à Escuela para el Desarollo mais je me suis questionné. Je mettais en place des ateliers, des formations, mais est-ce que je faisais vraiment une différence ? J’ai quitté provisoirement mon poste pour travailler avec le Mouvement Social, Amnesty International, YMCA. Je me suis aussi formé au coaching. Je suis revenu à Escuela para el Desarollo avec une plus grande ouverture vers le monde, et des idées sur le changement, qui commence par soi-même mais peut avoir un impact global. Ce sont les individus eux-mêmes que l’on essaie de transformer – les communautés d’apprentissage permettent d’aider à accéder à ce changement.
Tu as une particularité, tu as développé une activité de coaching. Ça consiste en quoi et qu’est-ce que ça t’apporte ?
Il y a beaucoup de confusion sur le coaching. On le mélange avec le leadership. Pour moi, une personne qui donne une conférence n’est pas un coach.
Le coaching, c’est le changement à partir de la prise de conscience. L’outil clé du coach c’est les questions. Pour poser les bonnes questions, et permettre une prise de conscience (insight) il faut beaucoup observer le processus d’évolution de la personne. On clarifie vraiment les buts, ce que la personne veut vraiment vraiment faire. On peut s’appuyer sur différentes disciplines – philo etc. Il faut travailler avec la personne sur la manière dont elle va se mobiliser pour faire le changement. Le coaching, c’est beaucoup de pouvoir, et donc beaucoup de responsabilité.
En fait, si on considère l’apprentissage comme un processus, ça veut dire que le plus gros de l’apprentissage vient à moyen terme, donc il faut cet accompagnement. Avant je me disais « on va faire les bons outils, les bons contenus, les ateliers »… mais sans accompagnement, la plupart du temps, il n’y a pas de changement profond.
Quel est ton prochain grand chantier ?
Mon grand chantier est autour de la citoyenneté et de l’éducation citoyenne. Pour moi la citoyenneté est plus complexe et plus importante que les thèmes que j’ai travaillés avant – elle touche aux droits, à l’éthique, au travail avec les autres…
Je parle bien de citoyenneté sur les territoires. Comment on fait pour améliorer les relations d’une communauté qui partage différentes choses sur un territoire. Les questions virtuelles peuvent permettre de partager à un niveau plus global, mais les fruits et le processus sont aussi locaux. Je veux monter des ponts entre les communautés locales et les plateformes de réflexion globale.
Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?
Je recommanderais Stephen Covey, et notamment son ouvrage 7 habits of highly effective people (traduit en français « les 7 habitudes des gens efficaces »), paru en 1989. Le livre pose 7 principes qui aident les personnes à gérer leurs projets, leur vie, s’ils arrivent à les intégrer dans leurs habitudes. Ces principes sont pour lui universels, intemporels, donc peuvent nous servir à tous. Sur la base de ces principes on peut faire beaucoup de choses. Depuis 1989, ils ont réédité sans arrêt et, en 2005, Stephen Covey a revu son ouvrage en y intégrant un 8ème principe : la transcendance. Il suggère de trouver de quoi on est fait et de quoi l’autre est fait. Edifier ma propre vision et aider ensuite l’autre à trouver sa propre vision. Il y a des schémas sur les 7 principes qui se classent dans les catégories « intra-personnel » et « inter-personnel ». Ce qui est intéressant c’est que le 8ème est sur une troisième dimension.