Focus acteur : Josette Abbadie, coordinatrice habitat à l’ARTAG
Josette Abbadie est coordinatrice habitat à l’association ARTAG (Association Régionale des Tsiganes et de leurs amis Gadgé). L’ARTAG est une association d’une vingtaine de salariés, qui intervient auprès du public des gens du voyage. L’ARTAG agit sur différentes thématiques (logement, éducation, insertion…) car elle estime que les interactions avec les gens du voyage doivent se faire de manière globale pour être efficaces et permettre une vraie politique publique.
Bonjour Josette. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton travail de coordinatrice habitat ?
Mon rôle est principalement d’accompagner les collectivités qui veulent intervenir sur l’habitat, sur le logement et l’accueil des gens du voyage. On effectue un travail d’évaluation, de diagnostic, d’accompagnement de leurs projets sur le volet famille. On est parfois directement sollicités en tant qu’association, mais on répond surtout à des AO des collectivités dans le cadre du Groupement d’Intérêt Économique CATHS que nous constituons avec 2 autres associations qui travaillent avec les gens du voyage et 1 cabinet d’architecture.
Comme on est dans une « petite » association, on fait un peu de tout. Nous ne sommes que deux à plein temps à travailler sur l’habitat. Sur un projet, selon le nombre de familles relogées, je peux être plutôt sur de la coordination (avec des collègues qui viennent m’aider à faire les enquêtes), sur de l’opérationnel (faire un diagnostic, aller sur le terrain), ou sur un volet conseil auprès des collectivités, stratégie.
Globalement, on essaie de faire correspondre les projets à la culture du groupe familial qui est relogé, mais aussi aux capacités de la collectivité territoriale, avec des contraintes tant urbanistiques qu’économiques ou politiques. Le but est que les projets ne soient pas ressentis comme imposés, ce qui permet de faciliter la création et la gestion, d’avoir des projets pérennes. Sinon on a des risques de projets qui vieillissent mal.
Au niveau méthodologique, notre spécificité c’est de favoriser la participation des familles. On fait pas mal de médiation. Il est important d’avoir l’adhésion des deux parties tout au long des étapes du projet. Le projet doit convenir aux familles mais aussi s’adapter aux capacités de la collectivité. On travaille par exemple avec les architectes pour les aider à faire le lien avec les familles à différents moments d’un projet. Notre travail permet donc d’appuyer une évolution des pratiques des collectivités et des professionnels de l’habitat en favorisant cette approche participative. On travaille aussi sur la citoyenneté avec les gens du voyage puisqu’ils ont des droits mais aussi des devoirs, notamment sur les espaces collectifs.
Quels choix t’ont mené à ce poste ?
J’ai été surtout attirée par le public. Auparavant, j’avais travaillé tantôt avec des jeunes, comme animatrice pour la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, puis plutôt sur les publics âgés, sur des questions d’isolement. Après cela, j’ai eu accès à une formation pendant laquelle j’ai réfléchit à la fonction que je voulais occuper.
J’ai grandi à proximité des enfants de la communauté des gens du voyage. Nous étions voisins et j’ai toujours été intriguée par leur mode de vie, leur culture. J’ai donc contacté l’ARTAG en 2002 et j’ai pu y aller en stage, dans le cadre de ma formation. Ils m’ont ensuite proposé un contrat. Au bout d’un moment j’ai commencé à travailler sur de la médiation, à structurer la parole des familles pour faire émerger les projets, tandis que l’association évoluait… ce qui m’a amené à ce que je fais aujourd’hui.
Toi qui travaille sur les questions d’habitat, ce crois que tu vis dans un logement un peu particulier, est-ce que tu peux m’en parler ?
Je vis dans une coopérative d’habitants, la première en France. C’est un statut qui existait dans les années 70 mais avait disparu. Il y avait toutefois toujours des personnes qui réfléchissaient à comment habiter autrement, dans des réseaux alternatifs. L’un d’eux a duré, a creusé la question et a réussi à construire cette coopérative. Le groupe existe depuis 2005, la coopérative a été réalisée en 2013 : c’est le village vertical de Villeurbanne !
Je ne suis pas arrivée dans ce groupe par hasard. Je me posais pas mal de questions sur l’habitat, de par mon travail. J’étais locataire à l’époque, mais j’étais insatisfaite avec les loyers qui augmentaient sans cesse. L’achat n’était pas une option : il me semblait absurde de m’engager sur 30 ans « juste pour des murs ». J’ai donc rencontré des réseaux alternatifs et, en 2008, j’ai intégré la liste d’attente pour le village vertical. J’ai été validée dans le groupe fin 2012 alors que l’habitat était prévu pour 2013, donc j’ai eu de la chance.
L’avantage de cet habitat, c’est qu’il s’est fait autour des personnes. Le projet a un peu d’ampleur car il intègre plus que le logement et porte une certaine idée de ce que c’est qu’habiter ensemble. En tout, 14 logements du t2 au t5 ont été construits. 4 sont dédiés à accueillir des jeunes en insertion (souvent 1er logement) ce qui permet un peu de turnover. Pour les autres, il y a différents profils (familles, personnes seules…) même si pour l’instant tous sont en activité.
Les spécificités sont dans la gestion et les espaces collectifs. Nous sommes à la fois propriétaires et locataires : nous avons tous des parts sociales de la coopérative et développons ensemble nos projets autour de notre habitat (un individu, une voix), mais nous payons aussi des loyers. Ceux-ci permettent d’entretenir le bâtiment et de rembourser le crédit qui a servi à construire le village vertical, mais nous restons sur du logement social. Nous disposons d’un certain nombre d’espaces partagés que nous gérons collectivement : une buanderie, une salle commune, 4 chambres d’amis, un jardin, un potager.
Fais-tu des liens entre ton emploi et cette expérimentation sur l’habitat ?
Le projet de village vertical s’est fait à la force des habitants qui ont voulu créer leur propre habitat, dans la conception et dans la gestion. J’essaie de faire la même chose avec les familles. Dans le village vertical, on a des tâches communes (ménage…). L’utilisation des espaces communs se fait dans le consensus. Au niveau de mon travail c’est souvent plus difficile à insuffler. Les gens du voyage ont un mode de vie semi communautaire mais en même temps, ils sont traversés par les mêmes courants individualistes que le reste de la société française. Ils craignent les espaces partagés car il faut un investissement de tous dans leur gestion. La question de la volonté des habitants à vivre ensemble est importante.
As-tu l’impression que tu fais plus changer l’habitat avec ton travail ou à travers le village vertical ?
Un peu les 2. Au boulot, on a des projets qui se passent bien et permettent de faire tomber des barrières. On se dit alors que le vivre ensemble n’est pas si loin. Sur d’autres projets, on a l’impression qu’on n’y arrive pas, qu’il faudra au moins 3 générations.
Le village vertical, c’est mon quotidien. Il y a une vraie volonté de gens qui veulent faire des choses ensemble pour mieux vivre – même si parfois ça va lentement ça avance. C’est agréable. Les gens sont volontaires mais ont parfois des rythmes de vie compliqués. Ça nous rappelle à la réalité. Pour ma part, par exemple, je suis souvent en déplacement et je m’aperçois que je ne peux pas m’investir tout le temps, partout. C’est la même chose pour les autres familles.
Habicoop, qui soutient le village vertical, a lancé une campagne de crowdfunding comment et pourquoi cette campagne ?
La campagne vise à apporter un soutien à Habicoop qui assiste les projets de coopératives d’habitants et qui a fait du village vertical son projet pilote, l’a assisté et a même fait changer la loi pour avoir la notion de coopérative. Habicoop a des difficultés financières car même si certains politiciens voient l’intérêt de ces projets alternatifs, les subventions baissent. C’est l’une des seules structures qui se bat pour la non-spéculation sur le logement en France. Elle accompagne les groupes d’individus sur des processus de long terme pour se constituer en coopérative. Cela demande une trésorerie importante puisqu’Habicoop ne commence à se payer qu’une fois le projet bien avancé et les groupes bien structurés, ce qui peut prendre plusieurs années.
La campagne de crowdfunding a le double avantage d’apporter un appui financier à Habicoop mais permet aussi de faire connaitre l’habitat coopératif, d’inspirer d’autres personnes. On veut un essaimage de ce type d’habitat.
Quel est ton prochain grand chantier ?
Actuellement l’ARTAG commence à travailler sur des projets pour des familles hippomobiles, qui se déplacent en roulotte et à cheval. Il va falloir être créatifs, puisqu’il faudra traiter la thématique des animaux dans ce logement. Qu’est-ce qu’on fait, comment on fait, … ? C’est un défi intéressant. Il faudra faire attention à respecter leur parcours.
Côté village vertical, j’ai hâte de voir ce que vont donner les coopératives en train d’être construites. Il y a un projet sur Vaux-en-Velin (Chamarel) pour des ménages qui veulent vieillir ensemble qui devrait prendre forme en fin d’année. Lyon 7ème a aussi un projet en cours (la Gargousse) et une coopérative se monte à Toulouse (Abricoop). Le défi va être de pouvoir échanger, travailler ensemble. On va mutualiser une expérience toute jeune alors qu’aujourd’hui on ne peut que regarder ce qui se fait à l’international (Suède, Amérique Latine, Suisse…).
Ces projets questionnent énormément ce qui est important : habiter ? se loger ? être propriétaire ? Qu’est-ce qu’on transmet ? On a vraiment des choses à imaginer dans cette économie mondiale où la propriété est de plus en plus chère. En Afrique de l’Ouest les prix flambent à certains endroits, là-bas aussi il y a des choses à faire.
Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?
Je trouve que Pierre Rabhi vaut le coup d’être lu, notamment pour son approche de la sobriété heureuse. Je ne suis pas forcément prête à atteindre l’idéal qu’il soutient, mais c’est intéressant de voir qu’on peut vivre autrement, dans une consommation plus réfléchie, que ce soit au niveau de l’alimentation ou autre.
J’aime aussi lire Thich Nhat Hanh : il développe des idées autour de la pleine conscience, en proposant une approche de la vie tout à fait lucide, où que l’on soit, quoique l’on fasse. Ça donne une ouverture vers d’autres modes de pensée qui peuvent permettre de se sentir mieux.