Focus acteur : Latyr Ndiaye, coordinateur de programme cohésion sociale et jeunesse au Sénégal
Latyr Ndiaye est expert en développement local pour le PNUD. Il travaille comme coordinateur sur un programme cohésion sociale et jeunesse basé sur les régions de Matam et Tamba (le PROCOSOC), qui cible les jeunes de 18 à 35 ans – lutte contre les formes de violence et opportunités d’emploi. Auparavant, il a travaillé pendant 12 ans en collectivités territoriales et s’est spécialisé dans l’aménagement des territoires ruraux.
Bonjour Latyr. Tu travailles aujourd’hui pour le PNUD, au Sénégal. Tu peux nous en dire plus sur le programme, ta mission, et comment tu travailles ?
Bonjour. Je voudrais d’abord parler du contexte du projet. On travaille en Afrique de l’Ouest, au Sénégal, dans 2 régions limitrophes du Sahel. Il y a donc des formes de violence liées à la radicalisation, l’émigration clandestine… c’est une région un peu instable et cela pose des questions au Sénégal. Le PNUD a donc formulé un projet avec la coopération japonaise et le gouvernement du Sénégal pour permettre aux jeunes de développer des activités économiques qui leur permettent de rester au Sénégal, d’avoir des perspectives en profitant du cadre de vie qui regorge de potentialités pour l’instant peu développées. On touche à l’aspect économique pour donner un avenir aux jeunes.
Le premier travail que j’ai dû réaliser c’était donc de mieux explorer les potentialités des deux régions. On a fait un diagnostic complet, qui a mis en valeur les secteurs porteurs. Sur cette base, nous avons fait formuler avec les élus, l’Agence Régionale de Développement (ARD), l’administration territoriale, les organisations communautaires de base – de tous petits projets pour les jeunes, qui ont ainsi les moyens de s’exprimer et de participer au développement local. Le but c’est de leur montrer là où il y a des potentialités et de leur donner des petits moyens pour commencer à faire quelque chose.
En amont de la création de projets, il y a donc de la formation. Par exemple, il faut renforcer tout ce qui est esprit d’entreprenariat, connaissance de l’environnement économique des 2 territoires. Cela peut permettre aux jeunes de formuler des projets. On a déniché des secteurs porteurs avec par exemple le maraîchage et l’exploitation/transformation des produits locaux. On a formé plus de 130 jeunes pour pouvoir produire avec des moyens très réduits, mais suffisant pour avoir une activité.
Notre but dans tout ça, ce n’est pas de créer de petites bulles économiques mais de les mettre en lien avec l’environnement – de créer des chaines de valeurs. Dans le programme, je dois surtout pouvoir insuffler une dynamique de développement territorial. Il y a beaucoup d’acteurs – y compris l’Agence Régionale de Développement qui coordonne le développement local à l’échelle Régionale. Le cadre de concertation existait mais ne vivait pas. A travers un comité de pilotage et un comité technique restreint, on a su remettre les acteurs ensemble pour réfléchir un peu globalement, et leur faire comprendre l’intérêt du projet que nous portons.
Ce n’est pas un peu le grand écart pour toi entre développement local et programme d’une organisation internationale, qui peut paraitre plus descendant ? Tu travailles toujours pour le développement local ?
Pour être honnête, je n’étais pas dans la formulation du projet du PNUD. A mon arrivée j’ai vu qu’il y avait des incohérences : les élus n’étaient pas inclus ; le projet ciblait particulièrement l’équipement en kiosques mobiles solaires pour développer l’activité. J’ai fait des propositions pour développer d’autres activités génératrices de revenus, car l’idée de base n’était pas forcément adaptée au territoire.
Ceci dit, il y a vraiment des possibilités pour raccrocher le projet aux besoins locaux, même au PNUD. Je n’ai pas été recruté pour travailler uniquement sur les kiosques, plutôt faire bouger le territoire avant de mettre en œuvre le projet. J’ai par exemple ciblé l’ARD et nous avons signé une convention – alors qu’ils n’étaient pas inclus au début du projet. C’était stratégique pour moi que les acteurs s’organisent autour de l’ARD.
Il y a évidemment des difficultés pour faire du développement local au sein d’une grosse institution. Le PNUD est à Dakar et moi à Matam mais j’ai profité de chaque opportunité pour faire pencher le projet dans la bonne direction. Ça passait par insister pour avoir 5 minutes par-ci par-là avec le team leader, après une réunion. C’est comme ça que le directeur pays s’est mis à m’écouter, j’ai gagné sa confiance. Une fois, il m’a convoqué et m’a parlé d’un programme qui suit ce projet – ce qui me fait dire que mon pari est réussi.
Quand on arrive dans une grosse machine comme celle-là il faut être très stratégique et rebondir à temps, donner de la perspective. C’est une grosse machine mais j’ai travaillé avec une équipe qui est loin d’être sourde. J’ai pu renverser la tendance, et le projet montre déjà des résultats intéressants.
Quels sont tes défis au sein du PNUD ?
Je ne suis pas là pour faire de la mécanique, de la mise en œuvre, mais aussi pour réfléchir. Quand on a la volonté de faire bouger les choses, on y arrive. Dans le contexte du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest – le projet est bien mais il faut l’inscrire dans le temps, la perspective. Le problème ce n’est pas uniquement l’emploi ; ce n’est pas non plus uniquement les instances et les politiques publiques. Je pense qu’il faut redonner la voix aux jeunes (18-35 ans) qui ne participent pas trop à la vie de la communauté ou des instances qui décident pour eux. Il faut donner de la voix aux jeunes et les positionner par rapport au développement, sur des choses très concrètes.
Pour donner un exemple, j’ai poussé pour créer un réseau qui vit aujourd’hui à travers Facebook. On a plus de 1500 jeunes qui donnent des avis par rapport à des phénomènes sociaux comme la violence dans les ménages, l’utilisation des drogues, la radicalisation… C’étaient des sujets tabou et aujourd’hui, on a changé les choses. C’est extraordinaire on redonne une place aux jeunes qui ont plein d’idées. C’est un premier pas pour qu’ils investissent les cadres de décision – parlent de leurs problèmes au quotidien, de la gouvernance à la formulation des politiques publiques. Donc même en partant d’un projet, on peut faire bouger les choses sur le long terme.
Le PNUD, c’est un bon cadre pour moi pour avoir un vrai impact au niveau du territoire. J’ai eu du mal à me décider – pour changer les choses, devais-je être un élu, fonctionnaire dans un ministère. J’ai réfléchis et pris une autre voie. Je sais comment fonctionne l’appareil d’État pour avoir travaillé 12 ans et je voulais découvrir autre chose. Je ne suis pas venu au PNUD pour une fiche de poste – au-delà de mes missions, je peux me rendre utile et donner une touche particulière à ce projet.
Tu as travaillé du côté des communes et du Ministère avant ta formation en France. Ça fait quoi de passer de « l’autre côté de la barrière », côté bailleur ou société civile ?
Je n’ai pas de préférence mais c’est complémentaire. Au sein des collectivités territoriales, la question du rapport entre élus et techniciens se pose. C’est difficile pour les techniciens de faire bouger les choses dans les CT, avec des élus qui ont leur propre agenda. L’approche est plus compliquée – ça a été toujours un problème pour moi – l’angle par lequel je percevais le problématiques était différent de celui de l’élu. On était en conflit tout le temps car ma légitimité c’était les compétences mais lui était élu donc pensait plus à son siège ; les compétences il s’en fichait si cela ne l’aidait pas pour la suite. Je pense qu’au niveau local, nous ne vivions pas pleinement la démocratie. Mon combat c’était de faire participer la population, la société civile, mais ça ne passait pas. Les élus se sentaient défiés et craignaient la concertation.
Dans le cadre des ONG, il faut être efficace et apporter rapidement des réponses – par exemple dans l’urgence. Avec souvent des projets courts. Ça ne veut pas dire qu’on ne s’inscrit pas dans le temps, que l’on ne peut pas poser des jalons pour la suite à côté du projet. Je pense qu’aujourd’hui dans les ONG il y a plus de capacité d’écoute. Les fiches de poste insistent d’ailleurs beaucoup sur les savoir-être, alors qu’en CT c’est surtout les compétences. Aujourd’hui je suis plus libre, on m’écoute et les décisions tiennent compte de mon avis.
Tu as fait une formation au CIEDEL, à Lyon 2, puis à Bioforce. Quelle place ces formations ont eu dans ton parcours ?
Si je reviens sur mon parcours, vous allez comprendre pourquoi j’ai eu besoin de ces formations. J’ai d’abord été formé en lettres et me destinait à l’enseignement. Je partais alors souvent en vacances en zone rurale, ce qui m’a permis de constater un fossé extraordinaire avec ce que je vivais à Dakar. En plus les personnes qui décident pour le développement en milieu rural ont d’autres environnements contextuels et ont l’habitude de calquer leurs actions alors que les enjeux sont différents. J’ai voulu travailler pour le milieu rural et après un service civique j’ai été recruté pour une CT – j’y ai bossé de 2000 à 2012. C’est là que j’ai appris le fonctionnement d’une CT, de la décentralisation…
Je me suis retrouvé avec des questions auxquelles je ne savais pas répondre. Je faisais la même chose chaque jour, j’étais limité par des textes juridiques, des pratiques. L’administration ne voulait pas qu’on innove, qu’on apporte des nouveautés. J’ai appris au CIEDEL à me décentrer, ne pas être un automate, interroger ce que je fais et trouver des instances pour améliorer ce que je fais. Mes collègues de formation m’ont beaucoup apporté en expliquant notamment comment fonctionnent les ONG, la société civile…
Ça m’a donné envie d’aller voir ailleurs. A Lyon 2, d’abord, pour mieux comprendre l’aménagement du territoire puisque je butais sur ces problèmes. Je me suis rendu compte que l’aménagement n’était pas que l’affaire des CT – les ONG investissent ce domaine mais n’y réfléchissent pas trop. J’ai donc fait le choix d’aller vers les ONG. J’ai complété ma formation à Bioforce. J’ai pensé que j’aurais plus de possibilités de faire changer les choses avec les ONG et pour tout dire, je suis actuellement très content de ce que je fais.
Est-ce qu’il y a une expérience qui t’a particulièrement marquée dans ton parcours et qui t’as amené à chercher ces formations ?
En fait ce n’est pas un événement mais une série de frustrations qui m’ont poussé à me former. En collectivité j’étais souvent apprécié pour mon travail. Mais je pensais qu’on pouvait faire mieux. Je ne m’autosuffit pas de ce que disent les gens. Le problème c’est que je manquais de légitimité pour faire passer mes idées : dans les forums un peu relevés, en tant que secrétaire communautaire je n’avais pas mon mot à dire. J’ai aussi été refusé à l’ENA – pas le diplôme suffisant. Au Sénégal si tu n’as pas un diplôme, un statut, tu as du mal à faire changer les choses, même si tu as les compétences.
Aujourd’hui je suis invité régulièrement. On me fait les yeux doux politiquement, pour avoir mon avis… J’arrive désormais à avoir du poids. La contrepartie c’est que je me consacre beaucoup au projet et à réfléchir pour créer des évolutions plus profondes : je bosse le week-end pour essayer de faire des input qui modifient l’avenir du projet. Franchement, je suis plus efficace pour répondre à des questions importantes là où je suis. Je suis sûr qu’on peut être pertinents et efficaces.
Que penses-tu du rôle du réseau et quel impact peut-il avoir ?
Je pense qu’on doit se positionner sur des questions de développement – organiser des forums, des réflexions sur des problématiques qui se posent aujourd’hui. Il y a des structures qui réfléchissent sur plein de thèmes, mais elles ne sont pas plus légitimes que nous, réseau.
Si je prends le Sénégal, on parle de l’acte 3 de la décentralisation. Il y a une panne – mais pas de réflexion pour la résoudre. La seule initiative c’était les assises de la décentralisation puis cette réforme – mais il reste pas mal à faire. Qu’est-ce qui empêche les collectivités locales d’organiser des évènements pour contribuer par exemple.
En tant que secrétaire communautaire, j’avais pris l’initiative d’organiser un forum sur le code des marchés publics et comment il se traduisait dans les pratiques. C’était ambitieux mais on a mobilisé l’administration territoriale une semaine pour échanger et faire des propositions. 2 ans après le texte des marchés publics a été revu et certaines propositions prises en compte. C’est pour ça que je pense qu’on peut faire des propositions et trouver les moyens de les porter, sur des choses très précises, pointues. Ceux qui le font actuellement ne sont pas plus capés que nous.
Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?
Bourdieu – pour ses apports sur la participation. Je ne peux pas le citer exactement mais en gros il dit un peu que « la participation a été fabriquée par les dirigeants pour se foutre de nous », il y a une participation fabriquée pour légitimer le politique et ce n’est pas là une vraie participation. Au-delà, c’est un super sociologue. Les études des sociologues sont primordiales, ce sont eux qui ont le plus apporté au développement. Ils ont su placer l’humain au centre de tout ce qui se fait en termes de développement. Si ce que j’ai à faire ne répond pas à l’humain, je ne trouve pas la nécessité de le faire. L’échec de notre modèle économique ou la crise de la politique c’est ça, c’est parce que l’humain n’est plus au centre de ce que nous pensons et faisons. Ça me fait penser à un autre livre que j’ai lu – sur la méthodologie de recherche en sciences sociales – très inspirant en termes de structuration de nos questions. Il me fallait une méthodo pour me poser des questions et circonscrire les problématiques.