Focus acteur : Samyla Amirouche, dirigeante et militante chez ACDC (Algérie)
Samyla Amirouche est dirigeante d’ACDC (Association pour la Culture et le Développement Communautaire), une association Algérienne qu’elle a contribué à créer en 1999. Elle se décrit plus volontiers comme une militante associative qui est motivée par l’expérimentation de modes de travail en commun pour contribuer à faire évoluer les initiatives citoyennes algériennes.
Bonjour Samyla. Est-ce que tu peux nous dire ce qu’est ACDC et ce que tu y fais ?
ACDC, ce n’est pas vraiment une association au sens traditionnel, c’est-à-dire une structure, mais plutôt une forme de réseau. Notre but c’est principalement d’accompagner l’évolution du tissu associatif local. Nous travaillons sur le terrain avec différents acteurs axés sur le développement local et communautaire.
Notre idée a été, petit à petit, de faire évoluer notre fonctionnement en penchant plutôt vers une logique de réseau, avec un noyau permanent qui fait le lien avec tout un réseau de personnes et d’associations. Chacune intervient dans le cadre d’actions mises en place par ACDC. On ne souhaite pas créer une grande structure qui brasse des projets et du personnel mais plutôt d’essaimer à travers cette logique de réseau.
Depuis la création d’ACDC, j’ai à la fois un rôle pédagogique, le soutien et l’accompagnement d’autres acteurs associatifs, et un rôle plus « politique » puisqu’il faut réfléchir aux orientations de l’association et continuer à s’inscrire dans un contexte concret.
Tu as créé ACDC, donc ?
Nous avons créé ACDC en 1999, avec Nazim. A ce moment, nous faisions partie d’un groupe de jeunes d’Alger, évoluant dans un milieu urbain. Après plusieurs années de terrorisme (ce que nous appelons les années noires), la jeunesse avait peu d’accès à la culture et peu de liens, d’engagements collectifs.
En 1999 les choses commençaient à s’apaiser dans le pays. On a commencé à réfléchir à la manière d’investir le terrain, en tant que jeunes. Nous voulions montrer notre capacité à porter des changements, affirmer notre volonté. Ensemble on pouvait transformer les choses, les faire évoluer.
Dans une structure que tu décris comme une constellation, quel est le mode de fonctionnement ?
En fait, nous sommes deux fondateurs et nous nous sommes très vite confrontés au modèle de fonctionnement des associations. ACDC a eu le soutien d’ONG de développement. Alors qu’on se voulait plutôt militants et bénévoles, un statut que nous gardons et revendiquons, nous avons rapidement été questionnés sur les modèles qu’il nous conviendrait d’adopter pour professionnaliser notre action.
En 1999, quand on a commencé, tout était nouveau pour les associations. Il a fallu tout construire et, bien sûr, nous n’échappions pas à la règle. Nous nous interrogions constamment sur notre fonctionnement.
Aujourd’hui, nous essayons précisément de garder un point d’équilibre entre militantisme et professionnalisme. Il faut bien sûr, des compétences techniques mais en même temps on ne veut pas se retrouver coupés des réalités. Pour nous, c’est important d’avoir un contact fort avec les acteurs avec qui on travaille, de se mettre à leur place, essayer de construire des projets ensemble.
Ce qui est difficile, c’est que ce qui est exigé de nous en termes de gestion, c’est souvent très lourd – par exemple pour obtenir des financements. Or, je pense que toute cette gestion n’a pas lieu d’être, si on n’est pas dans une pratique de terrain et un travail de proximité.
Pour en revenir à la question du fonctionnement, je dirais que nous sommes beaucoup dans le principe du « faire ensemble » – petit à petit, on a axé notre action là-dessus. On a opté pour soutenir les mouvances associatives qui commençaient à naitre et en renforcer les liens.
Tu travailles plutôt sur le développement local ou le développement communautaire, puisque tu utilises les deux mots depuis le début de cette discussion ?
Notre idée de départ, c’était le développement communautaire, au sens large. Notre réflexion c’était de créer du commun : qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? On voulait trouver comment nourrir, innover, booster ce commun. On n’avait pas forcément l’idée de le faire au niveau local. On a essayé de monter un centre d’initiatives de jeunes, des projets pour la jeunesse, un portail de ressources pour les associations algériennes, des rencontres nationales, etc.
Pour moi, le développement local, c’est quelque chose que l’on a abordé ces 10 dernières années. En 2008-2009, on s’est installés dans une localité et on a décidé d’agir sur ce territoire et d’y développer des projets. C’est-à-dire de localiser notre action en quelque sorte. A ce moment, on n’avait pas dans l’idée de faire du développement local – du moins on n’utilisait pas ce mot. En fait, la plupart du temps, on réfléchit sur le sens et l’évolution de nos actions mais pas forcément avec des mots techniques.
Tu parles du tissu associatif algérien. Qu’est-ce que tu essayes d’améliorer ?
Après 20 ans de vie associative (depuis 1999), des associations se sont développées et sont devenues des institutions. Aujourd’hui, il y a un vrai développement quantitatif : ça foisonne, il y a beaucoup d’associations locales et l’agrément est beaucoup plus facile à avoir. Nous, ça nous avait pris 2 ans pour créer l’association.
Pour autant, on s’est rendu compte que sur la question de l’implication citoyenne, on était parfois loin du compte. On s’est un temps suffit de l’idée qu’en étant une association on était forcément biens, forcément dans le vrai. Mais on s’est rendu compte que même une association ne portait pas forcément les concepts que nous défendons aujourd’hui : la démocratie participative, le renforcement des individus, l’émancipation…
C’est là qu’on s’est dit qu’il fallait renforcer les associations pour porter la participation. Il y avait un vrai travers : on critiquait les autorités locales parce qu’elles n’associaient pas assez les associations et les citoyens, mais c’était pareil pour les associations qui ne faisaient pas participer leur public. On a vu, par exemple, des projets pour les femmes créés sans les femmes.
Il y a donc tout un travail de formation et de formation-action à faire auprès des animateurs d’associations. Apprendre à faire des enquêtes terrain, à réfléchir des projets avec la population. Ce n’est pas possible de rendre la société civile porteuse de propositions si elle n’a pas un regard sur les projets qui sont faits pour elle.
A travers les formations, les agents de développement reviennent de leurs enquêtes de terrain très étonnés du résultat. Souvent, ils s’aperçoivent qu’ils construisaient leurs programmes et leurs projections sur des idées reçues, et pas sur la réalité du terrain.
Quels sont tes défis pour les années à venir ?
A titre personnel, j’aimerais beaucoup valider mon diplôme [au CIEDEL]. Ça faisait plusieurs années que je m’intéressais au CIEDEL – mais j’avais mis deux ans pour finalement leur écrire. Bref, ça a trainé mais maintenant que j’ai commencé avec des modules, j’aimerais aujourd’hui faire ça. J’ai une expérience très pratique depuis plusieurs années et j’ai besoin de valoriser tout cela.
Après, au niveau d’ACDC, notre principal défi c’est que les expériences enrichissantes qu’on a pu vivre soient partagées. J’espère qu’on va y arriver et aller encore plus loin sur cette question de réseau, « de constellation » comme tu la nommes.
Les choses sont là sans être là, mais il faut les organiser pour que ça soit plus efficace. Peut-être doit-on mettre en lumière certaines expériences menées « en catimini » pour influencer à plus ou moins grande échelle les politiques publiques. L’idée c’est d’arriver à faire essaimer certaines choses qu’on a testées : les démarches participatives, l’éducation populaire, les formation-action, le développement local… On peut optimiser toute cette richesse autour de nous pour gagner en influence.
Tu as parlé plus tôt d’un travail de pédagogie. La formation, c’est important pour toi ?
Je ne dirais pas uniquement la formation mais la pédagogie de manière générale. C’est prioritaire et inhérent à toute action de développement. Comment tu fais participer ? Comment tu animes avec finesse ? Comment on interagit avec les pouvoirs publics et on essaye de les comprendre ? Et ça même si la relation est difficile.
On parle souvent de formation – action ou de pédagogie émancipatrice plutôt que de formation. Je trouve que c’est une bonne porte d’entrée. Il s’y passe beaucoup de choses si on y apporte suffisamment d’énergie. Créer les conditions pour mettre en lien les participants, les amener à s’interroger ensemble sur leur devenir, c’est un super espace pour réfléchir, produire et agir sans danger, donc c’est émancipateur.
Comment tu envisages le travail en collaboration avec d’autres professionnels ?
C’est difficile à définir. Pour nous c’est presque un mécanisme. On travaille beaucoup sur la question du collectif et on essaie de pousser nos expérimentations jusqu’au bout.
J’ai envie de donner un exemple qui me vient en tête. Il y a quelques années, on a travaillé avec El Besma, une association locale pour l’intégration des personnes handicapées. Ils organisaient un événement sur une journée pour lequel ils avaient rassemblé tout un tas d’associations locales, dont ACDC. Il y avait d’ailleurs une grosse pression politique sur cette rencontre.
Un jour, on était tous réunis pour travailler à l’animation de cette journée, et il y avait quelqu’un d’extérieur, un photographe, qui nous regardait. Il nous a dit « je ne comprends pas, toi tu es de telle association et toi de telle autre, c’est bien ça ? ». Et quelqu’un a répondu « aujourd’hui on est tous El Besma, demain peut-être tous ACDC ».
J’ai trouvé ça super ! Ça exprimait bien la volonté d’être au-delà des structures, même si on les défend et qu’elles ont leurs valeurs propres. A la limite, si on n’est plus interconnectés avec d’autres, on n’a plus de raison d’exister.
Donc je pense qu’il faut partager des moments de réflexion et d’action, par exemple développer des activités ensemble. Ce qui est dangereux c’est de « se renfermer dans une structure comme dans une chapelle ». Parfois, certains membres nous reprochent de ne pas communiquer assez sur ACDC, comme si elle était diluée… Mais en fait nous ça nous va bien, ce n’est pas ACDC qu’on veut mettre en avant.
Nous publions cette interview dans le cadre du Réseau des Praticiens du Développement. Quel intérêt tu trouves dans ce réseau international ?
Le réseau des praticiens du développement, ça m’intéresse parce que ça résonne un peu avec ce que l’on fait. Globalement, la position des associations est fragile, avec des problèmes de moyens, des problèmes politiques… C’est pour ça que dans notre pratique on encourage la mutualisation de ressources ou l’optimisation d’espaces. On est plus forts quand on peut faire des choses ensemble.
Ce qui m’intéresse dans le Réseau des praticiens du développement c’est tout le travail de recensement [de pratiques, de professionnels] qu’il y a à faire. Et globalement le réseau pourrait devenir plus actif mais ça dépend aussi des membres. Je pense qu’il faut pousser, initier les membres du réseau à être plus qu’une liste et devenir porteurs de l’animation de ce réseau.
J’imagine bien une activité en Algérie ou au Niger, avec une thématique qui nous intéresse et à laquelle on puisse contribuer. Je pense que la décentralisation d’activités et de pratiques est nécessaire pour que ça s’ancre mieux dans les territoires et que les membres du réseau s’investissent.
Un auteur ou un livre que tu aimes bien pour terminer cette discussion ?
Sans hésiter, Michel Séguier qui a écrit ‘’ Construire des actions collectives – Développer les solidarités ’’ Il a beaucoup travaillé avec les centres sociaux et a écrit sur les pédagogies émancipatrices.
Je l’ai découvert un peu en tard, mais il mettait des mots et des idées sur beaucoup d’éléments que nous essayons de travailler dans notre marmite associative. C’est un peu technique mais très parlant sur toutes les questions de pédagogie active.