Focus acteur : Marie-Loup Fall-Guérin, directrice d’une structure d’appui aux professionnels du développement local

Marie-Loup Fall-Guérin a travaillé au RAFOD, pendant 17 ans, dont plusieurs années au poste de directrice. Un poste depuis lequel elle a pu suivre et contribuer à l’évolution du Réseau des Praticiens du Développement, avec un œil interne (elle a été formée au développement local au CIEDEL) et un œil externe (son activité n’est pas liée à un territoire). Ce focus acteur a été réalisé quelques jours avant que Marie-Loup ne quitte la direction du RAFOD et intègre de ce fait « à part entière » (c’est-à-dire avec la casquette d’acteur du développement) le Réseau des Praticiens du Développement.

Bonjour Marie-Loup. Peux-tu nous dire ce qui t’as amené au RAFOD, il y a 17 ans ?

Le RAFOD, qui était encore une jeune structure créée à l’initiative du CIEDEL[1], me connaissait bien car j’étais étudiante au CIEDEL de 1998 à 2000. A l’époque le RAFOD bénéficiait d’une possibilité de créer un emploi jeune, et il leur fallait trouver quelqu’un qui avait moins de 25 ans, ce qui était mon cas.

Je suis arrivée jeune dans la formation du CIEDEL, après avoir été formée au travail social communautaire au Sénégal, à l’École Nationale des Travailleurs Sociaux et Spécialisés. J’avais donc un Bac +3 et je voulais continuer mes études en France pour avoir un diplôme reconnu en France. Au centre de documentation de l’ambassade de France au Sénégal, j’ai trouvé la plaquette du CIEDEL et je me suis dit « c’est ça que je veux faire ».

J’ai postulé mais d’abord j’ai été refusée car je n’avais pas d’expérience professionnelle. J’ai insisté en disant que c’était la formation que je souhaitais faire car c’était la plus proche du travail social communautaire, un concept qui vient du Canada mais n’existe pas en France. Ils m’ont pris à l’essai, peut-être parce que je leur ai dit que sinon je devrais aller faire de la socio à la fac. Finalement je suis resté 20 ans…

Tu es donc « tombée dans le développement local » jeune. Pour toi c’est quoi le développement local ?

La phrase qui me semble la plus juste c’est « le Développement Local, c’est faire en sorte que le ciel ne nous tombe pas sur la tête ». Elle est d’ailleurs affichée sur le site du RAFOD. Plus concrètement, je pense que c’est s’organiser sur un espace donné, ce qui correspond en général à ce qu’on appelle un territoire, en essayant de prendre en compte toutes les parties prenantes pour que les choses fonctionnent bien et que les habitants s’y épanouissent.

Qu’est-ce qui t’as séduit dans cette vision/approche ? D’ailleurs c’est une vision ou une approche ?

J’estime que c’est les deux. Ce qui m’intéresse le plus c’est que le développement local a un côté concret, réel et réaliste. On peut rattacher directement la situation locale à des dynamiques collectives dont elle est en général le résultat. Ce sont ces collectifs (au sens large du terme) ou cette absence de collectifs qui ont la responsabilité de la situation. Dans une approche développement local, on ne peut pas dire « c’est la faute des autres, des entreprises, des politiques, des habitants… ». Le fait est que chacun est responsable de ce qui le concerne mais ça ne marche que si tout le monde est pris en compte. C’est ça qui m’a attiré et continue à me motiver dans le développement local.

J’aime aussi le côté généraliste : souvent les gens qui bossent dans le développement ont d’abord une approche disciplinaire ; moi je n’ai pas cette approche, mais plutôt une vision transversale.

Pourquoi travailler dans une structure d’appui et non pas dans une structure de terrain, une ONG ou une collectivité territoriale par exemple ?

En fait, je n’ai pas vraiment « choisi » de travailler dans une structure d’appui. Au départ c’est une opportunité, j’ai eu une proposition à peine sortie du CIEDEL. Ceci dit je n’ai pas choisi par hasard : quand j’étais étudiante au CIEDEL, je voyais le trio CIEDEL-RAFOD-RESACOOP comme une boite qui fonctionnait bien, mais je ne comprenais pas comment ça fonctionnait de l’intérieur. J’étais très intéressée pour travailler dans cette boite et voir, justement, quels mécanismes il y a avait à l’intérieur.

Une fois lancée, le premier poste que j’ai eu était très administratif. Il correspondait très peu à ma formation. Au bout de quelques temps je « m’ennuyais » un peu sur ce poste mais j’étais intéressée par la dynamique de l’équipe, les réflexions de fonds posées en interne sur le développement local… on en revient aux dynamiques collectives.

Et puis après je suis montée en responsabilité et j’ai eu la possibilité de mettre en place d’autres choses (monter des dispositifs de mobilité par exemple). Ca demandait beaucoup plus d’autonomie, de créativité. Et puis au départ de Gilbert GRAUGNARD j’ai eu le poste de direction, donc j’ai toujours évolué.

Mais je n’ai pas le sentiment d’avoir travaillé directement « dans » le développement local.

Ce n’est pas paradoxal pour la directrice du RAFOD ?

Je vais essayer d’être plus claire : je travaille dans le secteur du développement local mais je n’ai pas de mission de terrain, je ne travaille pas sur un territoire donné. Donc je ne me sens pas directement compétente sur le développement local – ce qui n’empêche pas que je m’intéresse à toutes ces thématiques et que ça me permet de garder plus de recul, ce qui est parfois utile.

C’est sans doute paradoxal et cela me fait parfois défaut de ne pas avoir meilleure connaissance de ce qui se passe sur les territoires. C’était peut-être l’un des points faibles de ce poste. C’est via les échanges avec les collègues ou les membres du Réseau que j’avais une idée de ce qui se passait.

L’une des missions que s’est donné le RAFOD est de « renouveler les modèles et approches du développement ». Comment tu as organisé le RAFOD pour cela ?

Il y a 17 ans, le RAFOD c’était d’abord de la gestion de bourse. Petit à petit à partir de mon arrivée, on a commencé à travailler avec le Réseau, en dépassant le petit bulletin papier bi-annuel pour organiser des ateliers notamment.

A partir de 2013, il y a eu une réflexion importante sur le Projet du RAFOD. On a décidé dans cette réflexion de remettre le Réseau au centre de la mission du RAFOD. C’était l’un des moyens qui semblait efficient pour travailler sur le renouvellement des modèles et des pratiques. Pourquoi voulait-on faire cela ?

On fait tous le constat que les modèles de développement ne sont pas aussi efficaces qu’on le voudrait ; pour autant on n’a pas de solution miracle, on tâtonne.  En gros on a considéré que tâtonner c’était bien, mais que ça devait se faire dans le cadre des pratiques.

Pour les modèles, j’estime que c’est en réfléchissant avec les acteurs qu’on peut identifier les modèles et les enjeux, à partir des réalités vécues. Pour les pratiques c’est évident, parce ce sont les professionnels des territoires qui vont les mettre en place, donc il faut qu’ils contribuent à les réfléchir et porter les nouvelles pratiques.

Après, par rapport à cet objectif ambitieux, je pense qu’il faut être vigilant : est-ce que notre action quotidienne sert notre ambition réelle ? Le Réseau peut en juger plus objectivement que moi. C’est difficile pour tout le monde de réfléchir et prendre du recul quand on a le « nez dans le guidon ». De mon point de vue, on a plus participé au renouvellement de pratiques que de modèle. Les modèles, on les aborde vraiment dans In’Co qui, quelque part, est l’aboutissement de toute cette progression.

Pourquoi In’Co est arrivé à ce moment justement ?

C’est la logique chronologique de l’activité que j’ai pu avoir avec le Réseau. En 2016, le RAFOD on a perdu des financements. On s’est dit « qu’est-ce qu’on fait avec le réseau » ? Du coup, on a fait un état des lieux et c’est en grande partie à partir de cet état des lieux et des réflexions qu’on a pu avoir en équipe ou avec quelques membres qu’on a construit In’Co et la vision qui va avec.

Pour être le plus honnête possible, je dirais que la question des Transitions n’est pas venue du Réseau sous cette forme. Mais le Réseau avait mentionné qu’il avait besoin d’être renforcé sur l’accompagnement des dynamiques de changement et d’être alimenté sur les grands enjeux du développement. Je pense que le programme In’Co va complètement dans ce sens.

Quelles qualités il faut avoir pour être directrice du RAFOD pendant 17 ans ?

C’est difficile comme question. Une autre personne aurait peut-être mis d’autres qualités dans ce poste. Je pense qu’il faut être autonome, toucher à tout, être capable de s’adapter aux opportunités. Ma créativité m’a servi parce que ce que j’ai mis en place, je ne l’ai jamais appris en tant que tel. J’ai toujours cultivé ce côté un peu décalé.

La question de la relation personnelle est aussi très importante pour moi dans ce poste, notamment avec les membres du réseau. Il faut être attentif à chacun des membres mais aussi au collectif. Il faut pouvoir déclencher l’envie de travailler ensemble donc l’enthousiasme, l’implication sont aussi importants.

Je pense qu’il faut avoir aussi un peu de vision sur les enjeux du développement, donc être curieux, écouter ce que nous remontent les membres et ce qui se dit au CIEDEL ou ailleurs. Enfin, il faudrait de la rigueur sur certains aspects ; ce n’est pas ma première qualité, mais je ne travaille pas seule donc ça va.

En 17 ans, ton travail a dû changer et l’environnement aussi : qu’est-ce qui a évolué ?

Les modalités de financement du développement ont énormément évolué. L’accès au financement me semblait plus facile il y a 17 ans.  Il n’y a quasiment plus de dispositifs de bourses institutionnels, on voit qu’on doit accompagner des personnes qui financent elles-mêmes la formation ou qui le font par des dispositifs de financement plus privés que l’on ne voit pas forcément.

J’ai aussi l’impression qu’il y a des choses qui bougent en Afrique : l’accès à l’info, des avancées sur les questions d’accès aux droits fondamentaux, aux besoins de base. Il y a sans doute aussi des innovations, des choses qu’on ne voit pas, par exemple au niveau des financements. Et certainement aussi des points plus sombre… je pense notamment à la corruption. Ce n’est pas forcément facile pour moi de répondre, aussi du fait de mon éloignement du terrain.

Côté enjeux, la question des transitions et notamment les enjeux environnementaux sont devenus prépondérants aujourd’hui. Avant c’était important, aujourd’hui c’est crucial…

Et puis dans mon environnement professionnel direct, il y a beaucoup plus de « multi-tâche ». Il y a un besoin de gérer l’information différemment. Il y a 17 ans ça passait déjà par mail mais le papier restait important. On prenait le temps de lire chacun son tour des documents. Je me souviens qu’on mettait des petites croix pour dire qu’on avait lu avant de le passer aux autres. Aujourd’hui il faut lire plusieurs newsletters par semaine ! Et encore moi je ne suis pas les réseaux sociaux alors que je pense qu’il faudrait le faire. Il faut dire qu’il y a 17 ans, mon poste ne demandait pas non plus que je suive de près les actualités institutionnelles.

Qu’est-ce que tu préfères dans ton travail ? Que retiens-tu ?

J’aime la dynamique collective de l’équipe CIEDEL et les relations avec le Réseau, l’animation du réseau.

Ce qui m’a le plus marqué c’est la construction d’In’Co. On est partis du diagnostic collaboratif, de l’analyse des enjeux pour monter un projet ambitieux, qui pour moi tient la route. Je pense qu’on peut être fiers de ce projet qu’on a monté et qui propose un vrai changement, une ambition.

Je suis aussi très marquée par la méthode prospective  et du coup j’étais vraiment contente qu’on puisse organiser un atelier pour faire bénéficier le réseau de cette démarche. J’ai considéré ça comme un privilège. Ca va au-delà de la méthode, particulière, on parle vraiment d’enjeux futurs et on essaye d’avoir une posture  en  « décalage intellectuel »…  .

Est-ce qu’il y a des choses que tu aurais aimé faire différemment, avec le recul ?

J’aurais aimé pouvoir aller plus loin dans le travail stratégique avec le réseau, peut-être qu’on puisse aller un peu plus vite. Mais ça va venir ! Je ne suis pas du genre à penser qu’il aurait fallu faire autrement, c’est trop facile a posteriori. Il vaut mieux corriger le tir et avancer.

Quels sont tes grands défis dans les mois à venir ?

Pour moi il faut que j’arrive à concilier repositionnement professionnel et prise en compte des enjeux des transitions. C’est-à-dire trouver un poste intéressant, dans lequel je vais pouvoir m’épanouir, être utile en ayant l’impression de contribuer à mettre en place des solutions aux problèmes sociétaux actuels. Donc être réaliste mais viser haut.

Plus terre à terre mon premier objectif c’est de trouver une formation pour répondre à cet objectif, qui va me donner des compétences et qui pourront s’intégrer dans un travail.

Pour finir une lecture ou un auteur que tu recommanderais à tes collègues du Réseau des Praticiens du Développement ?

Je pense à Reinventing organizations de Frédéric Lalou. En plus il a fait des vidéos donc on peut rentrer dedans par ce biais. Il a fait le tour d’une vingtaine d’organisations qui fonctionnent en gouvernance partagée (il appelle ça le mode « opale »). Il a réussi à comprendre comment et pourquoi ça fonctionne si bien. C’est une vraie transformation des dynamiques collectives au sein des organisations quelles qu’elles soient… et des postures individuelles.

Je suis aussi en train de finir Utopie Réaliste, dans l’esprit des transitions. Le livre montre avec des exemples très concrets qu’on peut faire différemment, que des choses qui peuvent sembler utopistes sont en fait très réalistes une fois rentrées dans les mœurs : revenu universel, semaine de travail de 15h… La démocratie pouvait sembler complètement utopiste en 1700 mais parait évidente aujourd’hui. Il y a juste le chapitre sur l’aide internationale sur lequel je ne suis pas trop d’accord, que je trouve trop simpliste.

Sinon une de mes lectures phare est Jonathan Livingston le Goéland de Richard Bach. Il n’hésite pas à se démarquer de tous ses collègues goélands dont le seul but est de trouver à manger. Lui son objectif est de maitriser son vol, quelque chose qui parait complètement inutile voire impossible aux autres. C’est une œuvre très poétique et très profonde.

 


Le RAFOD a été créé par le CIEDEL pour piloter des dispositifs de bourses afin de faciliter l’accès aux formations professionnels en développement local aux publics défavorisés. Le RAFOD a ensuite développé ses d’autres objectifs, notamment de contribuer à faire évoluer les modèles et pratiques de développement à travers le Réseau des Praticiens du Développement.