Retour sur l’atelier Paix, sécurité, développement
Du 27 mai au 1er juin dernier, une vingtaine de membres du Réseau des Praticiens du Développement (travaillant essentiellement au Sahel) se sont penché sur les liens entre paix, sécurité et développement à partir de leurs pratiques, et expériences professionnelles et personnelles. Ce travail était animé par le CIEDEL à l’occasion d’un Atelier international du Réseau, soutenu par la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
Les principaux acquis de cette semaine d’atelier sont de trois ordres :
- Une analyse des grandes causes de la situation actuelle dans les pays d’intervention des participants – plus ou moins concernés par les violences organisées par des groupes extrémistes violents – , en creusant particulièrement les causes liées aux démarches, méthodes et contenus des actions menées par les acteurs du monde du développement;
- Des analyses sur les typologies, stratégies, et motivations de groupes extrémistes violents – avec notamment l’idée que ces groupes n’opèrent ni au hasard, ni sans objectif à court, moyen ou long terme ;
- Des propositions sur le changement des pratiques de développement (professionnelles et personnelles), en particulier sur la position et les manières de faire/procédures des agents de développement local et des bailleurs.
Plus que des analyses finalisées, nous retenons surtout des réflexions, des grilles de lecture co-construites et une prise de conscience collective de la profondeur des problèmes dont nous sommes tous partie prenante. Cet article donne quelques grandes lignes des réflexions ; un compte-rendu plus détaillé est en préparation.
Démêler, décrypter les causes des conflits
Pourquoi cette situation de conflits et d’insécurité se développe-t-elle aujourd’hui, sur des territoires sur lesquels il y a 5, 10 ou 15 ans, les dynamiques pouvaient sembler toutes autres ? L’atelier a permis de clarifier les axes d’analyse de la situation. Les participants ont notamment pu cibler des causes externes et internes de déstabilisation, mais aussi des causes premières et des causes secondaires (conséquences des premières, qui deviennent ensuite elles-mêmes des causes de l’aggravation des conflits).
Parmi les causes externes, on peut cibler des enjeux géopolitiques ou la déstabilisation de pays voisins (par exemple la crise Libyenne qui a favorisé la diffusion de groupes violents et l’explosion du trafic d’armes…). Parmi les causes internes, on peut par exemple citer le manque de perspectives pour les jeunes (que ce soit en termes d’emplois ou d’accès aux décisions qui les concernent).
Les causes premières (les inégalités, la mauvaise gouvernance…) peuvent aussi rapidement être renforcées par leurs conséquences directes (marginalisation, discrimination, corruption, absence de réformes ou/et politiques adaptées, etc.) qui deviennent à leur tour des causes des conflits (pression sur les ressources naturelles liée au changement climatique ou à la démographie, enrôlement des jeunes désœuvrés, manipulation des identités « ethniques »…).
Ces éléments de lecture sont importants pour faire une analyse précise du développement des groupes extrémistes violents, et plus généralement des violences organisées. Ils le sont aussi pour comprendre ce qui peut faire basculer un territoire dans la résistance ou dans la violence.
Un potentiel explosif qui n’est pas l’apanage du Sahel
Faut-il voir alors dans la situation du Sahel et d’autres pays déstabilisés une simple conjonction particulièrement défavorable ? Si on lit la situation avec plusieurs niveaux de causes, c’est loin d’être évident : les causes premières (problèmes de gouvernance, d’inégalités…) sont présentes sur de nombreux territoires – y compris dans des pays du Nord – et peuvent mener à des situations similaires. Il suffit de voir, par exemple en France, les violences qui se développent sur certains territoires.
L’insécurité et les conflits sont déjà installés sous différentes formes dans d’autres pays : coupeurs de route, trafiquants, simples voleurs… Ces violences se développent souvent sur un terreau similaire, à savoir un développement qui laisse de côté des territoires et/ou des secteurs entiers de la population, renforcé par un ensemble de facteurs secondaires propices à la montée en puissance des conflits.
Au Sahel, la situation s’est aggravée plus rapidement, du fait de la présence et du renforcement de facteurs secondaires de conflits, comme la croissance démographique qui a mis en exergue les problèmes de gestion du foncier et les changements climatiques qui modifient les équilibres dans le partage de l’usage des terres et des ressources naturelles ; mais aussi les besoins d’autonomisation et de perspectives de la jeunesse face à la monopolisation du pouvoir par les aînés, ou encore la « construction » d’ethnies par les perceptions coloniales du XIXème siècle, reprises après les indépendances, qui facilitent aujourd’hui la manipulation d’identités communautaires ethnicisées par des groupes extrémistes violents etc.
Les groupes extrémistes violents, dont les motivations s’entremêlent (idéologiques – avec le rejet d’un modèle de développement et/ou des traditions –, financières, politiques…), utilisent ces facteurs de déstabilisation dans leur stratégie.
Les agents de développement : ni neutres, ni impuissants
Les conclusions de l’atelier montrent surtout que les agents de développement local (et les bailleurs de fonds) ne sont ni neutres, ni étrangers, ni impuissants face à cette situation. Il est donc urgent de faire un travail d’analyse de plus grande ampleur, et d’innover dans les pratiques et les procédures de développement pour faire face à cette situation.
Une phrase est ressortie plusieurs fois pendant l’atelier : « il ne faut pas jeter l’argent sur les problèmes ». Les participants entendaient par là non pas qu’il faille arrêter de financer le développement, mais plutôt qu’il est nécessaire de le faire plus intelligemment, sous peine d’aggraver la situation plutôt que de contribuer à la paix. Voici quelques-unes des pistes évoquées sur lesquelles travailler :
- Une réflexion par les agents de développement local sur les implications de leurs actions pour les territoires, au-delà de la plus-value financière ou politique pour leur structure ou pour eux-mêmes ;
- Le renforcement des autorités locales et de leur légitimité, parfois écornée par les acteurs de développement qui agissent sur les territoires en se substituant aux acteurs locaux ;
- Le respect de la planification locale, l’accompagnement de son articulation avec les autres échelles de territoire, la mise en place de partenariats équilibrés et de cadres de concertation incluant les acteurs locaux dans leur diversité ;
- L’inclusion d’une stratégie de prévention et de gestion de conflits dans les activités mises en œuvre : les actions de développement, en modifiant les équilibres entre individus et entre groupes génèrent potentiellement du conflit ; elles ne sont jamais « neutres » ;
- La modification des procédures bailleurs, en assouplissant et/ou modifiant notamment les démarches d’attribution et de suivi des fonds, en accompagnant les territoires sur des durées plus longues. Sans cela, les fonds injectés peuvent alimenter des actions inutiles, voire contreproductives, ou encore profitent majoritairement aux entreprises, ONG ou collectivités territoriales ayant les plus fortes capacités de gestion de projet et écartent les autres, renforçant les inégalités ;
- La priorité à donner à l’ingénierie territoriale sur les investissements en ayant en tête la nécessité de s’inscrire dans des démarches pérennes ;
- La mise à l’échelle des pratiques personnelles : en termes d’éthique, de posture, d’appui à ses élus sur son territoire etc.
- …
Ces éléments seront détaillés et complétés dans le compte rendu de l’atelier